Présentation
Par un beau jour du printemps 2003, Guillaume Maupin, lassé de me plumer à la belote à longueur de journées, se lança dans l’enregistrement un album, à mon grand soulagement je dois dire. J’eu ainsi le privilège d’assister à la naissance de ce chef d’œuvre du folk moderne qu’est Meilleur que mille mots dénués de sens ou la philanthropie des ouvriers charpentiers, pour lequel je réalisais ma première pochette. (Pendant l’enregistrement, nous reçûmes par la poste un curieux document intitulé La Cagouille et signé par le Docteur Louche, hasard qui n’en est probablement pas un.) Un peu plus de deux ans plus tard, Guillaume réitérait avec Folk in a pleasant mood et commençait à se faire un nom sur la scène musicale bruxelloise.
L’exemple ne pouvait que stimuler ses amis saintongeais. Dans la foulée Lonely Kid Quentin et Pete Louis Abrahams se mirent à enregistrer frénétiquement dans leurs antres bordelaises. Comme ces deux là étaient voisins, ils s’invitèrent mutuellement sur leurs disques et commencèrent à jouer ensemble, ce qui avec l’arrivée d’un troisième larron, Simon-Pierre Dumas, donna naissance aux Duppy Conquerors.
2007 fut l’année de l’éclosion. Coup sur coup parurent : J’ai eu 20 ans, premier album de Lonely Kid Quentin, Rock n’roll is a folklore, premier album de Pete louis Abrahams, Meet the Duppy Conquerors, premier album des Duppy Conquerors et Cuir et Dentelle, deuxième album du Kid renommé Dentelle pour la circonstance accompagné de Mathilde (Cuir donc).
Nous comprîmes bien vite que ces initiatives ne devaient pas rester isolées : la même année Plus de Bave Volume Un (premier CD intégré à la Cagouille qui entretemps avait gagné des collaborateurs et en était à son cinquième numéro) réunissait tous les artistes précités ainsi qu’une tripotée d’autres à la production plus épisodique. Quelques mois plus tard enfin, l’association Supercagouille était officiellement créée, avec sa branche musicale : Saintonge Records.
Tout ça pour dire qu’à Supercagouille on avance un peu comme les personnages d’un vieux western : on fait les choses d’abord, on réfléchit ensuite. Avant même la création du label, nous avions un catalogue conséquent avec une identité bien réelle quoique jamais définie par une quelconque ligne éditoriale.
Quelle-est donc cette identité ? Elle est difficile a exprimer par des mots. Certainement pas en tout cas l’identification à un genre musical : on est pas un label de folk, ni de rock, encore moins de post-machin ou d’anti-truc. Ce qui relie le folk fantasque de Guillaume Maupin, les précieuses chansons électroniques de Lonely kid Quentin, le rock tout en violence et en érudition de Pete-Luis Abrahams et les envolées exotico-psychédéliques des Duppy-Conquerors est à la fois plus insaisissable et plus profond que l’adhésion à un programme ou l’appartenance à un sous-genre musical.
On pourrait bien sûr citer des noms, des figures tutélaires vénérées en commun, mais elles sont si nombreuses et éclectiques que leur énumération serait indigeste et ne parviendrait pas à donner une image de ce que nous faisons. Citons en quelques uns tout de même : Bob Dylan, Sun Ra, le Velvet underground, Captain Beefheart, Georges Brassens, les pionniers du folk et du blues américain, les rockeurs éthiopiens des années 60 et 70, les collectages effectués par Alan Lomax un peu partout sur la planète… La liste est loin d’être exhaustive et il y a déjà de quoi s’y perdre.
C’est pourtant probablement cet appétit immodéré pour des musiques de toutes formes, de toutes époques et de tous lieux (à condition qu’elles soient la marque d’une expression authentique et singulière) qui fédère les artistes de notre label : Saintonge records est un label de mélomanes. L’hommage, la référence et le pastiche sont des formes récurrentes dans nos disques. Regardez les albums du Kid, pas un dont la pochette ou le titre ne contienne un clin d’œil à un artiste admiré, ou Pete Luis, à la recherche de l’essence du rock n’ roll à travers la diversité de ses formes. Quant à Guillaume Maupin, s’il semble avoir mis la composition entre parenthèses dans son travail récent, c’est moins par paresse que dans une tentative, à travers des projets comme le juke-box humain où ses conférence sur le folk de dépasser l’opposition un tantinet stérile entre le compositeur, forcément créatif, et l’interprète, nécessairement servile et de renouveler la figure du musicien populaire qui colporte les chansons tout en en faisant évoluer la forme. Il nous fait partager les intenses émotions emmagasinée par son cerveau hypermnésique au long de ses incessantes explorations musicales.
On peut voir le travail de chacun des musiciens de Saintonge Records comme une tentative de se créer, en puisant dans ce que la musique enregistrée a pu lui offrir de meilleur, une sorte de folklore intime, de redonner sens à la notion de musique populaire, mise à mal par l’industrie et la culture de masse, et de trouver par ce biais la voie qui lui est propre.
Un mot pour finir sur les conditions de fabrication de nos disques : c’est du pur artisanat. Si vous tenez un de nos albums entre les mains dites-vous qu’il a été enregistré dans la chambre du musicien et gravé sur son ordinateur, que la pochette a été réalisée par lui ou par un ami artiste, qu’elle sort de son imprimante (si elle n’a pas été sérigraphiée par l’ami artiste précité) et qu’elle a été découpée et collée par ses soins. Bref, dites-vous que ce que vous tenez entre vos mains c’est un objet intime, rare et précieux malgré le peu de prix des matériaux qui le composent. D’aucuns diront que si on fait comme ça c’est qu’on a pas les moyens de faire autrement. C’est vrai mais ça nous va très bien comme ça. On est pas des industriels, notre objectif est de vous inviter au voyage, pas de conquérir le monde.